J’ai envie de lui écrire

Ça me revient souvent à l’esprit, c’est comme un uppercut à l’estomac : je pense à lui. J’ai envie de le contacter. Lui écrire une longue lettre dans laquelle je dirai tout. Comme il a changé ma vie. La lui raconter, le remercier. Me rappeler à lui. C’était il y a 15 ans. Je voudrais lui dire que j’existe toujours et que… Que quoi ? Je m’arrête toujours au milieu de cette pensée. Si j’ai envie de le contacter, c’est pour moi, ou pour lui ?

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Source : Bru-nO

J’ai envie de lui reparler de ce moment d’éternité de quelques secondes, un mardi soir, ce moment où son langage corporel m’a indiqué qu’il savait. Je voudrais lui parler de comme mon coeur a battu plus fort quand il a tourné la tête vers moi, du courage qu’il m’a fallu pour soutenir son regard, et de la confiance absolue qu’il a eue dans ma parole. C’était la première fois qu’un adulte savait. Pour la première fois de ma vie, je n’étais plus invisible.

Je voudrais lui dire que j’ai détourné le regard parce que j’étais terrifiée. Que j’ai éludé ses questions parce que les conséquences possibles de ma prise de parole me pétrifiaient. Je voudrais lui dire que mon père me menaçait, que je pensais ne jamais revoir ma petite soeur, que je croyais être arrachée à mon environnement familier et aux personnes que j’aimais. Je voudrais lui parler de la peur que j’avais que ma mère se suicide, que personne ne me croie, que tout le monde me rejette.

Je voudrais le remercier pour ce temps qu’il a pris pour me parler. Pour la façon qu’il a eue de me laisser dire les choses à mon rythme, sans m’interrompre, l’incroyable délicatesse avec laquelle il a respecté mes silences, la sensibilité avec laquelle il a partagé une partie de ses peines pour m’amener à voir qu’il était possible de s’en sortir, avec du temps et de l’aide.

Je voudrais lui dire que je sais, maintenant, comme ça a dû être difficile pour lui. Comme il a dû tourner et retourner ma vérité dans sa tête pendant ces quelques jours entre nos deux conversations, combien de phrases il a dû préparer pour m’encourager à me libérer du secret, quels débats il a dû avoir avec lui-même pour savoir s’il devait partager ce qu’il savait, ou garder mon secret le temps de me décider à en parler.

Je voudrais le remercier pour le signalement qu’il a fait. Il n’avait pas le choix. Je voudrais lui dire que si j’ai menti par la suite, modifié mon témoignage, c’était uniquement parce que j’avais peur. Parce que mon père était passé par là et m’avait réduite au silence.

Je voudrais lui dire que l’attention qu’il m’a portée a été le point de départ d’un changement profond chez moi, changement qui est toujours en cours. J’aimerais lui dire qu’il m’a mise sur les rails et donné l’impulsion, qu’il m’a donné le souffle de vie qui me manquait pour avancer dans la bonne direction.

J’aimerais lui parler de la graine qu’il a plantée dans mon esprit cette semaine-là, qui a pris tant de temps à germer et à sortir de terre qu’il n’en a pas vu les fruits. Je voudrais lui parler de ces fruits qui sont bien réels.

Je voudrais tant dire à mon ancien professeur tout le bien que je pense de lui. Si j’osais, je lui enverrais un long courrier pour lui raconter tout ça.

Mais s’il ne se souvenait pas de moi ? Et si ma lettre restait lettre morte ?

Ah, si j’osais…

8 commentaires

  1. Pour te connaître, je peux t’assurer qu On ne peut pas te laisser passer dans nos vies et t’oublier ensuite. Tu fais partie de ces gens qui, à l’image de ton professeur, marquent. Positivement bien sûr.
    Si cette envie te taraude, si elle te fait du bien, fonce.

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  2. Je suis sure qu’il se souviens de toi.
    Toi comme moi, on sait très bien que ces élèves qui nous marquent, on ne les oublie pas !

    Si l’envie est là, alors écris lui 🙂

    Parfois moi j’aimerais avoir des nouvelles de ces petits qui se sont confiés à moi, et qui doivent avoir maintenant bien grandis…!

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  3. Je ne commente jamais, mais là je voudrais juste te soutenir… je ne peux pas croire qu’il ne se souvienne pas.
    J’ai envie de t’encourager à lui écrire 🙂
    Plein de soutien à toi.

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  4. Je t’encourage moi aussi à lui écrire ! Il y a des moments comme ça, où d’un coup on se sent compris et pas jugés, des personnes qui savent intuitivement quand se taire et nous laisser le temps, et quand nous pousser à parler.

    Pour ma part, c’est une personne jusqu’alors presqu’inconnue qui a su m’aider quand je me suis tournée vers elle en désespoir de tout et qui a su mettre les mots qu’il fallait avec tact et fermeté pour me faire avancer.

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